La gestion des séneçons

Un peu de botanique...
Les séneçons appartiennent à la grande famille des astéracées, comme les pâquerettes, marguerites, camomille, tanaisie, les pissenlits, porcelles, liondents, crépis, chardons, centaurées, etc.
Au vu de cette liste non exhaustive, vous comprendrez que les astéracées sont bien représentées parmi les plantes de prairie…
Si certaines comme le séneçon ou la porcelle font régulièrement parler d’elles, en raison de leur toxicité… D’autres, comme les pissenlits ou les crépis sont inoffensives, voire intéressantes dans le régime alimentaire de nos chevaux...
Pour cette raison, il est important d’apprendre à reconnaître les plantes toxiques et de comprendre ce qui se joue, en termes de risques, pour éviter toute panique et pour ne pas réagir de façon inadéquate.
On reconnaîtra les séneçons à leur inflorescence particulière. La partie que nous appelons « fleur » est en réalité une « fausse fleur », c’est-à-dire un regroupement de fleurs de différentes formes pour différentes fonctions :
Au centre, un cœur jaune orangé, formé de toutes petites fleurs en forme de tubes… (fleurs « tubulées »)
À l’extérieur, une rangée de +/- 13 fleurs imitant des pétales, les fleurs « ligulées ».
Chez les astéracées, les capitules peuvent être composées de ces deux types de fleurs (c’est le cas des séneçons mais également des pâquerettes, des camomilles, marguerites, tussilages, gerberas, achillées …) mais également peuvent ne contenir que des fleurs ligulées (pissenlits, porcelles, crépis, …) ou même tubulées (tanaisies, chardons…).
Au niveau des séneçons, ce qu’il y a à savoir, c’est 𝗾𝘂’𝗶𝗹𝘀 𝘀𝗼𝗻𝘁 𝗮 𝗽𝗿𝗶𝗼𝗿𝗶 𝘁𝗼𝘂𝘀 𝘁𝗼𝘅𝗶𝗾𝘂𝗲𝘀. Cette toxicité provient de leur teneur en alcaloïdes pyrrolizidiniques (AP).
En réalité, ce n’est pas réellement ces alcaloïdes en eux-mêmes qui posent problème mais le produit de leur transformation (métabolisation) dans le foie. Les séneçons ne sont d’ailleurs pas les seules plantes à en contenir, puisqu’on en trouve dans la consoude, dans la bourrache, les pétasites et dans le tussilage, par exemple.
L’accumulation de dérivés pyrroliques qui résultent de l’oxydation des AP va peu à peu engendrer une nécrose du foie et peut conduire à des risques de tumeurs…
* L’intoxication aigüe par le séneçon chez le cheval est peu probable car les circonstances où l’animal serait amené à en consommer en grandes quantités sont rares. Ces intoxications s’accompagneraient de violentes douleurs abdominales, coliques, diarrhées et de possibles convulsions (troubles nerveux).
* L’intoxication chronique en revanche est courante et très souvent à mettre en relation avec un manque d’information des propriétaires équins.
C’est pourquoi, nous vous proposons un article pour faire toute la lumière sur la toxicité et les risques liés au genre Senecio.
Quand le cheval est amené à consommer du séneçon, même de manière occasionnelle, les AP et leurs dérivés s’accumulent dans le foie qui se dégrade petit à petit, engendrant une faiblesse de cet organe et entraînant, finalement, une cirrhose généralisée.
Plus précisément, on observera différents signes selon l’intensité de l’intoxication : troubles gastro-intestinaux, anorexie, faiblesse, troubles nerveux et jaunissement de la peau et des muqueuses (ictère).
A l’autopsie on pourra détecter une fibrose avec occlusion veineuse et des canaux biliaires.
Il existe de nombreuses espèces de séneçons (env. 1500 !). Toutes ne sont pas présentes dans nos régions et toutes n’ont pas encore pu être évaluées quant à leur toxicité.
Les trois séneçons les plus couramment rencontrée en Europe de l’ouest sont :
Le séneçon de Jacob (𝙎𝙚𝙣𝙚𝙘𝙞𝙤 𝙟𝙖𝙘𝙤𝙗𝙖𝙚𝙖 𝙇.) : plante bisannuelle (parfois vivace), indigène, il a tendance à proliférer dans les zones gérées de manière extensive.
>> https://www.tela-botanica.org/bdtfx-nn-102852-synthese (voir description et illustrations).
>> https://notesdeterrain.over-blog.com/2018/03/senecon-jacobee.html
Le séneçon du Cap (𝙎𝙚𝙣𝙚𝙘𝙞𝙤 𝙞𝙣𝙖𝙚𝙦𝙪𝙞𝙙𝙚𝙣𝙨 𝘿𝘾.) : plante exotique envahissante vivace, originaire d’Afrique du sud et arrivée chez nous dans les années ’30, via le transport de marchandises importées contaminées par des semences (laine de mouton). Feuilles caractéristique de forme effilée, comme des aiguilles…
>> https://www.tela-botanica.org/bdtfx-nn-62909-synthese (voir illustrations).
>> https://notesdeterrain.over-blog.com/2020/01/senecon-du-cap.html
Le séneçon commun (𝙎𝙚𝙣𝙚𝙘𝙞𝙤 𝙫𝙪𝙡𝙜𝙖𝙧𝙞𝙨 𝙇.) : plante annuelle, « mauvaise herbe » typique des cultures et donc liées au milieux perturbés… Ses fleurs ont la caractéristique de ne pas s’épanouir et de rester fermées en boutons.
>> https://www.tela-botanica.org/bdtfx-nn-63096-synthese (voir description et illustrations).
D’autres séneçons sont également bien représentés mais inféodés à des milieux ou à des régions plus spécifiques…
Par exemple : le séneçon aquatique (Senecio aquaticus Hill), le Séneçon de Fuchs (Senecio nemoralis ssp. fuschii) – également appelé Séneçon ovale (Senecio ovatus) – le séneçon des Pyrénées (Senecio pyrenaicus L.), le séneçon des alpes (Senecio alpinus L.), etc.
Quelle est la dose toxiques ?
En chronique, on parlera principalement d’un seuil de toxicité, à partir duquel des symptômes graves apparaissent qui conduiront potentiellement à la mort de l’animal. On peut relier ce seuil à une fibrose étendue du foie avec un organe devenant dysfonctionnel et incapable de se régénérer.
Ce seuil est estimé, selon les différentes sources, entre 3 et 8% du poids vif de l’animal (en matière fraîche – séneçons sur pieds).
La teneur en alcaloïdes pourra varier d’une plante à l’autre (facteurs génétiques), d’une espèce à l’autre, d’une région à l’autre, d’un moment de l’année à l’autre. Et la vitesse de l’intoxication pourra éventuellement dépendre de la résistance de l’animal.
De plus, l’étude et la comparaison des concentrations retrouvées dans différentes espèces peuvent également varier du fait de l’emploi de différentes méthodes de dosage (analyses).
D’une manière générale, on estime que le seuil de toxicité sera atteint lorsque le cheval aura consommé une quantité totale de pieds de séneçon (de Jacob) = 0,6 à 1,1 pied/kg de poids vif.
Ainsi, pour un cheval de 550 kg, la consommation de 330 pieds de séneçon pourra suffire.
𝙋𝙚𝙪𝙩-𝙚𝙩𝙧𝙚 𝙘𝙚𝙡𝙖 𝙫𝙤𝙪𝙨 𝙨𝙚𝙢𝙗𝙡𝙚-𝙩-𝙞𝙡 𝙗𝙚𝙖𝙪𝙘𝙤𝙪𝙥 ? Analysons ensemble le cas de figure suivant (vécu) :
Une parcelle de fauche (destinée à faire du foin) d’une superficie totale d’un peu plus d’1 hectare (11 000 m²) où on a comptabilisé une moyenne de 1 séneçon jacobée par 20m²…
On estime donc le nombre de pieds de séneçon présents à +/- 550.
Le rendement total de la parcelle a été mesuré : 3190 kg de MS ont été récoltés.
Pour notre cheval de 550 kg, en estimant son ingestion à 12 kg MS de foin par jour, il aura consommé le stock de foin produit sur cette parcelle en 265 jours. Avec une dose toxique possiblement atteinte dès le 159e jour !
Les fausses idées reçues ...
En matière de plantes toxiques, de nombreuses personnes ont tendance à s’appuyer sur ce qu’elles lisent sur internet. Or, malheureusement, il faut se rendre à l’évidence, la plupart des informations que l’on y trouve seront incomplètes, approximatives, voire totalement fausses...
Voici l'une des affirmations les plus dangereuses que nous croisons pourtant pratiquement tous les jours :
Les chevaux savent ce qui est bon pour eux et ne touchent pas à ce qui est toxique (en l’occurrence, le séneçon).
Ceci est faux, pour différentes raisons.
Premièrement, cette affirmation impliquerait que nos chevaux soient systématiquement capables de reconnaître le séneçon comme une plante incomestible. Ce qui n’est pas toujours le cas…
Comment se fait l'éducation alimentaire du cheval ?
Poulain, il est accompagné de sa mère et procède principalement par imitation. Quid alors d’un individu élevé par une mère à l’éducation alimentaire bancale, défaillante ou incomplète ? Quid d’un animal élevé majoritairement « hors sol » ou, même, sur une prairie exempte de séneçons ?
NB : cet apprentissage par imitation est aussi à double tranchant ! Il faudra veiller à ne pas arracher les plantes toxiques devant nos chevaux, pour éviter toute confusion dans leur esprit (« Mon humain cueille la plante, sans doute pour la manger lui-même, c’est donc que cette plante est bonne… »).
Par ailleurs, on sait que les chevaux peuvent avoir tendance à être rebutés par des aliments au goût amer (que l’on retrouve chez le séneçon). Or, ce goût typique va avoir tendance à disparaître au séchage, et évolue également dans le temps et en fonction de la partie de la plante considérée…
De plus, tous les chevaux n’y sont pas sensibles de la même façon et il en faut souvent une bonne dose avant qu’ils soient réellement freinés dans leur ingestion.
A titre d’exemple, une étude de 1978 (Randall et al.) a montré que le goût amer devait être déjà important avant que les chevaux ne montrent un désintérêt alimentaire significatif.
Un autre facteur qui permettra au cheval de « retenir » qu’une plante n’est pas bonne à manger sera de pouvoir faire le lien entre la consommation de cette plante et un éventuel inconfort digestif survenant rapidement après l’ingestion (on dit généralement dans l’heure qui suit).
Or, comme nous l’avons vu, le séneçon est le plus souvent toxique par accumulation… Et notre gourmand ne se rendra donc compte de rien.
Ensuite, il faut également comprendre que la capacité du cheval à trier les herbes qu’il avale dans une bouchée n’est pas toujours excellente. Certains chevaux seront plus compétents que d’autres… mais d’une manière générale on peut dire que le cheval n’est pas un très bon trieur.
Dans les années 90’s, deux scientifiques sud-africains ont travaillé sur le sujet et ont montré que des chevaux pouvaient, en moyenne, ingérer involontairement une bouchée contenant du jeunes séneçons, par heure…
Finalement, il est intéressant d’observer que notre séneçon de Jacob est une plante bisannuelle. Ce qui veut dire que, dans la majorité des cas, elle ne sera présente la première année de son existence que sous la forme d’une rosette timide, plaquée au sol.
Or, les chevaux ont une préférence pour le pâturage de couvert « ras » et pourraient donc facilement se diriger vers des zones du couvert qui abritent de jeunes séneçons.
La gestion de la plante en prairie
La seconde mauvaise idée qui circule beaucoup est : pour gérer le séneçon, il suffit de l’arracher…
En fait, l’arrachage des pieds présents sera une action nécessaire mais non suffisante.
A ce titre, n’oubliez pas de ne pas procéder à la vue de vos chevaux et pensez à bien exporter les plantes (déchets verts, par exemple) car les fleurs sont capables de maturer et de donner des graines même après la « mort » de la plante…
Par ailleurs, nous parlons bien ici d’arrachage et non de fauche. Si on ne fait que couper, un certain pourcentage de séneçons seront capables de refleurir…
Comme nous l’avons déjà évoqué, le séneçon passe une partie de sa vie sous la forme d’une rosette. Celle-ci sera beaucoup moins visible que le pied en fleur et pourra donc passer inaperçue dans une prairie de plusieurs hectares (quel que soit le régime ; fauche ou pâturage)…
Ensuite, même en imaginant qu’on puisse éliminer tous les séneçons présents dans la prairie, il faut également comprendre qu’il est tout à fait probable que des graines soient encore présentes sous terre (on parle de banque de semences du sol).
En effet, un pied de séneçon pourra produire plus de 100.000 graines ! Chacune ayant une durée de vie pouvant dépasser les 10 ans !
Il faudra donc se préparer à être attentifs encore quelques années et à éliminer les sources de contamination éventuelle (graine de séneçon arrivée via l’alimentation ou simplement de chez le voisin).
Les graines (akènes) portent effectivement de petites aigrettes qui leur permettent d’être portées par le vent. Le plus souvent, ces graines tombent dans les premiers mètres autour de la plante mère.
Néanmoins, d’autres pourront voler plus loin (en fonction de la topographie, de la présence d’obstacles naturels tels que les haies, …).
Pour autant, on évitera de mener une chasse systématique contre tous les séneçons des environs.
Pourquoi ?
Parce que le séneçon jacobée reste une plante utile pour la biodiversité qui nourrit de nombreuses espèces de butineurs, par exemple.
Contrairement aux « EEE » (espèces exotiques envahissantes) comme le séneçon du Cap, il a donc tout à fait sa place chez nous… L’arracher dans et aux abords immédiats de sa prairie oui mais c’est tout.
En fait, ce qu’on va surtout chercher à faire, c’est de créer des conditions défavorables pour lui dans notre prairie.
Ce qui fait que le séneçon de Jacob se développe davantage à certains endroits, n’est en réalité principalement qu’un problème de « gestion extensive » ou mal adaptée des espaces.
D’une manière générale, les séneçons sont peu compétitifs, il sera donc assez facile de le contrôler et d’empêcher la germination des graines résiduelles. Pour ce faire, on jouera avec la densité et la hauteur du couvert (éviter le surpâturage) et en ajustant la fertilisation, notamment.
Dernier point d'attention : le foin
Il est toujours très important de chercher à connaître la provenance de son foin.
Ceci afin d’en évaluer la qualité nutritionnelle, d’une part, mais aussi sanitaire. Une fois dans le foin, il sera très difficile, pour ne pas dire impossible, de s’assurer de l’absence de plantes toxiques.
Le problème d’un foin contaminé sera double : risque d’intoxication d’une part, et d’introduction de semences non souhaitées, d’autre part.
En ce qui concerne le séneçon (Jacobée), on pourra éventuellement s’appuyer sur la présence de tige mais c’est un méthode peu fiable.
En effet, il faudra un œil entraîné pour reconnaître les tiges de séneçon face à toute une série d’autres plantes, qui elles ne posent pas de problème. Éventuellement, la présence de résidus foliés pourra permettre de préciser vos craintes… À condition que les feuilles n’aient pas été pulvérisées lors du chantier de fauche.
D’autre part, un argument consistant à évoquer la couleur des tiges est totalement faux puisque les tiges de séneçon peuvent être vertes, violacées ou un mélange de ces deux teintes, et ce, indépendamment de leur exposition au soleil, contrairement à ce qui est parfois lu ...